Ramon Tio Bellido, L'AICA et l'Afrique
Depuis sa création en 1948, force est de reconnaître que l'AICA n'a pas connu une implantation notable de sections nationales dans ce vaste continent, ni compté beaucoup de représentants africains dans ses différents bureaux, comme elle n’est que partiellement intervenue en Afrique par le biais d’événements tels que congrès, symposiums ou séminaires.
Une des raisons les plus triviales pour expliquer cette situation consiste à ne pas oublier que les trois premières décennies de l’existence de l'AICA sont celles où l'Afrique reste encore majoritairement colonisée. Si entretemps l’AICA parvient à être présente dans de nombreux pays européens, aux USA, au Mexique, au Brésil et en Argentine, en Turquie et même, pour des raisons d'amitiés personnelles, au Pakistan et au Liban voire au Japon, le contexte politique ne semble pas favoriser une tentative d’expansion vers ce continent. La fin des années soixante connaît pourtant une vague remarquable d'indépendances des pays jusque-là dominés par la France, l'Angleterre et la Belgique même si les dernières nations à se libérer d'une tutelle coloniale sont le Mozambique, l'Angola, la Guinée Bissau et le Cap-Vert, aidés dans leurs guerres d'indépendance par la destitution du régime dictatorial au Portugal même en 1974.
Ces « libérations » ne se traduiront pas forcément par l’instauration de régimes démocratiques, par l’accès à des situations économiques suffisantes et autonomes, par le développement notable de politiques sociales et culturelles s’accompagnant de la mise en place d’outils privilégiant les arts visuels et la création artistique. En d’autres termes, la filiation avec une ONG telle que l’AICA est, dans bien des cas, secondaire sinon improbable de la part des interlocuteurs potentiels eux-mêmes, et n’a pas fait l’objet d’une priorité remarquable de ceux qui ont dirigé et géré notre association, davantage préoccupés, histoires contemporaines aidant, par une expansion plus culturellement occidentale, continent américain inclus, tournée ensuite vers l’Orient, de façon plus ou moins pérenne bien que minoritaire.
Premiers indices des relations AICA/Afrique
Si l'on se réfère à l'histoire de l'AICA[1], on constate avec un étonnement feint mais conforme à la réalité mondiale, que la première fois où un des membres du Conseil d'Administration a une « mission » particulière concernant ce continent, il s'agit de Gaston Diehl, nommé ni plus ni moins « Secrétaire régional Afrique », en 1963, avec comme mention spécifique « Maroc ». Qu’une telle charge soit confiée à cette personnalité n’est en rien surprenante, puisque Diehl est parmi les premiers à avoir contribué à l’établissement de l’AICA, et qu’il occupe à ce moment-là le poste d’Attaché Culturel à l’Ambassade de France à Casablanca où il siégera de 1960 à 1966, avec comme objectif premier, à en croire les précisions émanant du Ministère des Affaires étrangères, d’étudier la présence d’Eugène Delacroix dans ce pays. Cette quasi anomalie, dont on ne sait trop comment elle a pu se traduire au sein de l’AICA, perdurera jusqu'à la fin de la présence de Diehl au Maroc, sans qu’une charge similaire ne soit confiée à personne par la suite. En d’autres termes, après cette digression singulière, suit un vide abyssal, explicite, et il faudra attendre 2002 pour que l’Afrique à proprement parler intègre les instances dirigeantes de l’AICA en la personne de Yacouba Konaté, qui est nommé Vice-Président à cette date, avant qu’il ne prenne la charge de la Présidence de notre association en 2008 lors du Congrès de Barcelone, pour un seul et délicat mandat.
Cela voudrait-il dire que l’AICA n’ait pas essayé d’instaurer des relations avec des personnalités ou des collègues de ce vaste continent entretemps ? On serait tenté de répondre oui et non tant les données éparses que nous fournissent les archives de cette association semblent pittoresques et incongrues. Le tout premier projet formulé consistait à organiser un Congrès à Tanger en 1952 qui n’aboutira pas car, semble-t-il, élaboré avec un correspondant enthousiaste mais aux fonctions imprécises, en l’occurrence un certain Edmond des Courières qui se portait garant de l’engagement de la Chambre Internationale du Commerce, de l’Industrie et de l’Agriculture du Maroc pour financer l’organisation de cet événement, laquelle a signifié assez vertement son refus par un courrier à peine aimable du 19 juin 1951. Cet « échec » sera suivi d’une tentative de « croisière AICA » en 1953/54, comme en atteste un courrier de Simone Gille-Delafon - alors secrétaire omnipotente de l’association – adressé à Jean Alazard, conservateur du Musée des Beaux-arts d’Alger. Cette excursion culturelle ne verra pas plus le jour que la précédente, et ces parenthèses aux relents franco-colonialistes seront vite éludées face à la dure réalité des situations conflictuelles des pays concernés.
Si l’on continue à décrypter les propositions qui émanent depuis le siège social de l’AICA à Paris, rien de notable ne se manifeste jusqu’à l’événement exceptionnel que reste l’organisation du seul Congrès International à s’être tenu en Afrique à ce jour, qui a eu lieu à Kinshasa en 1973, et s'est réalisé de façon assez rocambolesque et un brin opportuniste grâce à une aide volontariste de l'UNESCO et à sa politique résolument pro-africaine durant son programme triennal des premières années de la décennie soixante-dix.[1] De fait, ce troisième -et dernier- Congrès Extraordinaire organisé par l’AICA a remplacé une vacance de propositions pour cette année-là et s’est avéré, si l’on en croit les documents archivés, un panégyrique à la gloire du Président Citoyen Mobutu qui s’auto-qualifia pour l’occasion « Président de la Culture et des Arts ». Les intervenants -à l’exception de René Berger, alors Président de l’AICA qui a prononcé un discours d’inauguration-, ont été uniquement des « citoyens » congolais,[2] mais, à lire entre les lignes des dithyrambes adressés au chef de cet Etat Révolutionnaire, on perçoit néanmoins que cette rencontre a été l’occasion de pointer du doigt, et à juste titre, la spoliation des patrimoines artistiques africains par les nations occidentales, coloniales ou pas, et a offert l’opportunité de souligner les efforts d’une éducation artistique « populaire » via l’outil encore peu exploité qu’était la télévision, ce qui a du apaiser René Berger qui n’avait jamais caché son opposition à cette manifestation.
Les premières considérations vis-à-vis d'une présence artistique en Afrique de la part de l'AICA sont à vérifier dans la thématique et les contenus du Congrès qui s'est tenu à Lisbonne en 1976, sous le titre générique de « L'Art moderne et négro-africain ». Sans trop de surprises cependant, la majorité des interventions sont restées dans le champ d'observation restreint d'une analyse historico-ethnographique qui auto-évalue ses propres corrections face aux changements que connaissent nombre de pays africains. La communication délivrée par Giulio Carlo Argan suffirait par elle-même à préciser la teneur générale des débats, puisqu'elle consistait à s'interroger sur : « La critique d'art : une perspective anthropologique », énonçant ainsi qu'il était urgent et indispensable de se fourbir d'autres outils que ceux prévalent au sein d'une critique « occidentale » pour qui s'attèlerait désormais à la tâche de commenter les productions contemporaines d'artistes africains, pour autant d'ailleurs que reconnaître leurs existences signifierait de plus déléguer les outils d'une évaluation artistique à « des compétences et à des références locales », i.e. à des collègues africains. Bien sûr une telle hypothèse ne pouvait pour l'heure que rester en l'état, faute de preuves pourrait-on dire, ou par manque d'acteurs reconnus. Ne dérogeant en rien à d’autres points de vue largement partagés dans ces années là et pour un temps assez long encore, il était difficile de concevoir qu’une telle critique d’art puisse exister alors même qu’une création artistique « contemporaine » dans une grande partie du continent africain restait du domaine, sinon de l’impensable, tout au moins de l’invérifié, à la différence de la littérature entre autres.
Fondations et instabilités des sections AICA en Afrique
Paradoxalement, c’est de l’Afrique même que surgira la volonté de voir se constituer une section de l’AICA, soit de l’Afrique du Sud, dont le régime politique plus que particulier peut expliquer l’origine de cette décision.
Dès 1948, en effet, le bureau de l’AICA reçoit une lettre de Betty Spence, architecte sud-africaine, qui, avertie de la tenue d’un prochain Congrès de l’AICA à Paris -où de fait cette personne réside-, demande à pouvoir y assister et envoie un règlement de 1000 F pour ce faire. On ne sait trop si elle en a eu l’occasion, mais tout porte à le croire, à en juger par plusieurs courriers envoyés dans les années suivantes par le Professeur Rupert Shephard, exerçant à la Michaelis School of Fine Arts du Cap, attestant qu’il a pu constituer une section en conformité avec les règlements imposés par le gouvernement et le régime de l’apartheid de son pays et ceux préconisés par l’AICA. Autrement dit, les membres de la section d’Afrique du Sud ne seront jamais trop nombreux, de race blanche, et majoritairement liés à l’Université du Cap et à la National Gallery de cette ville. Sans trop de surprises la section d’Afrique du Sud n’aura pas vraiment de représentants répertoriés dans les congrès ou les manifestations internationales de l’AICA ;
elle semble avoir connu une existence chaotique, due en partie aux relations compliquées entre Johannesburg et Le Cap, à des informations incomplètes sur les exigences de critères livrées par le Bureau parisien, à des changements flottants de Présidences locales. Cette absence/présence a d’ailleurs failli coûter cher à notre association car la situation politique inadmissible qui perdurait dans certains pays africains a conduit l’UNESCO à décréter l'année 1971 « Année de lutte contre le racisme et l'apartheid ». Or, outre cette section sud-africaine qui semblait un peu oubliée, l’AICA avait surtout une section au Portugal dont le régime dictatorial était encore colonialiste[4]. Malgré un avertissement écrit de René Maheu, Directeur de l'heure de l'UNESCO, dont l'AICA semble ne pas avoir tenu compte, le Comité Exécutif de cet organisme, lors d'une réunion le 29 Septembre 1971, a prononcé ni plus ni moins son exclusion de la liste des ONG. Il a fallu l'intervention immédiate de Michel Cosnil-Lacoste, qui se trouvait dans cette assemblée presque par hasard, redoublée de la présence de Guy Weelen, secrétaire général dépêché ipso facto, pour plaider la bonne foi de l'AICA et obtenir son maintien comme ONG, au prix de la dissolution de ces deux sections. Si le Portugal a rétabli une section nationale dès la Révolution des Oeillets, il n'en est rien pour l'Afrique du Sud, qui, à ce jour, et malgré de nombreuses tentatives du bureau parisien ces dernières années et une situation politique et culturelle dynamiques depuis l'abolition du régime de l'apartheid en 1994 et l'instauration d'une démocratie, n'a toujours pas crée de section de l'AICA.[5]
L’autre section notable a été celle qui s’est créée en Egypte. Si l’on en croit les archives disponibles le souhait de voir s’instaurer une telle section dans ce pays proviendrait initialement de l’AICA. Elle ferait suite à des discussions et des échanges entre personnalités présentes lors du 3ème Congrès de l’Association, sans davantage de précisions cependant, sinon à laisser penser que l’un des points abordés a dû concerner légitimement son expansion. Une lettre de la secrétaire à un certain Marcel Salinas, domicilié à Alexandrie, demandant à celui-ci de « former une section Egypte » resta vaguement sans suite, sinon qu’après plusieurs tentatives insistantes, ce dernier répondit avec véhémence, par un courrier du 23 septembre 1951, de « laisser ce projet en veilleuse ». Il faut croire que celui-ci restait malgré tout prioritaire au sein du Bureau de l’AICA, car d’autres tentatives de dialogues ont suivi, sans qu’il ne soit possible d’en démêler parfaitement les méandres, eu égard aux documents archivés. En février 1954, le Docteur Bishr Farés, historien, a envoyé un courrier au secrétariat de l’AICA dont le contenu laisse quelque peu pantois. En deux mots, il y était dit que « la lettre antérieure n’avait aucune valeur car non signée ni par le ministre ni le sous-secrétaire d’Etat », qu’un ouvrage qui aurait été envoyé à l’AICA était « d’une médiocrité notoire », et qu’on « en restât là jusqu’à nouvelle information de sa part ». Par une lettre du 13 Mai 1954, ce même correspondant indiquait qu’une section avait été créée, forte de trois membres, et demandait l’agrément de l’AICA, qui semble avoir été accordé, mais pas assez tôt pour qu’un « délégué » de cette section puisse être désigné par la Direction Générale Egyptienne des Affaires Culturelles pour participer au 5ème Congrès de l’AICA, tel que le précise une note du 13 Juillet envoyée à Paris. Et puis, rien, ou presque, jusqu’aux tentatives de relance amorcées en 1989, sous la Présidence de José Augusto França, qui seront couronnées d’un certain succès, comme nous le verrons plus avant.
Si l’on en croit les archives de l’AICA disponibles à Rennes, l’attente de longues années pour parvenir à asseoir des sections dans les pays africains se confirme. Sans trop de surprise également, ces démarches se feront davantage dans les zones francophones qu’ailleurs. A cela des explications très simples, le siège de l’AICA est à Paris, un nombre non négligeable d’étudiants africains iront étudier dans la capitale française et auront plus de facilités pour entrer en contact avec cette ONG, souvent d’ailleurs via les professeurs d’histoire de l’art ou d’esthétique dont ils suivront les enseignements. De plus, détail crucial, c’est également en France qu’ont été publiés plusieurs revues et magazines discutant des situations culturelles africaines et militant pour leur reconnaissance, dont la plus célèbre reste Présences Africaines, crée par le sénégalais Alioune Diop dès 1949 -c’est-à-dire à peu près au même moment où s’instaure l’AICA- et dans laquelle ont contribué nombre d’écrivains français. Ceci peut expliquer en partie que l’une des rares tentatives que met en place l’AICA pour voir s’établir une section en Afrique ait été dirigée vers le Sénégal, dès octobre 1970, comme le confirme une lettre signée par Guy Weelen, secrétaire général, à l’attention de l’Attaché Culturel français (sic ?) à Dakar. A priori sans trop de succès, puisqu’il faudra attendre que Raoul-Jean Moulin, son adjoint, récidive en mars 1972 avec un courrier adressé cette fois à Ibrahima N’Diaye, un des militants de « l’Ecole de Dakar » inspirée par Léopold Sedar Senghor et son principe de « négritude »[6], sans que rien de concret ne se manifeste également.
La raison de ce démarrage difficile est sans doute à chercher dans la constitution d’une Association Nationale des Critiques Littéraires et d’Art/ANCLA dans ce pays, telle que souhaitée par Senghor lui-même, qui rendait difficile la cohabitation de deux instances gérant a priori les mêmes champs d’activité. Il faudra l’intervention de René Berger, alors président de l’AICA, qui s’adressera directement à Senghor, redoublée par Babacar Siné, nouveau rédacteur en chef de Présences Africaines, pour qu’un compromis semble avalisé et que l’AICA soit d’abord introduite comme partenaire au sein de l’ANCLA, puis soit enfin reconnue comme telle et légalement adoptée en octobre 1980 avec Mahlik Gassama comme Président, auquel succédera pour de longues années Abdou Sylla, un des étudiants venus à Paris et dont Jacques Leenhardt a fait partie de son jury de thèse, comme son collègue Alioune Badiane.
En parallèle, et dès les premières années qui suivront nombre d’indépendances, le peu de lettres envoyées par Raoul Jean-Moulin à de possibles interlocuteurs sont restées sans suite. Ainsi, celles qui sont vérifiables dans les dossiers disponibles relatent une prise de contact avec Mr Nundo, Directeur du Musée National du Ghana sur les recommandations d’Ibrahima N’Diaye, le 28 mars 1973, sa copie mot pour mot adressée à Mr. Ekpoeyo, Director of the Antiquity Museum de Lagos, Nigéria le même jour, et deux similaires simplement dirigées vers les responsables -sans nom- de musées au Mali et au Cameroun. Tous ces essais resteront lettre morte, ne faisant que renforcer le sentiment que l’on ne savait pas trop vers qui se diriger, mais plus profondément pourquoi puisque cela posait le problème de l’existence et de l’activité de partenaires correspondant aux critères de l’AICA.
Par la suite, c’est avec une lenteur égale et avec des atermoiements semblables que se feront et déferont quelques autres sections en Afrique, si l’on en juge par les documents dont nous disposons. Ainsi une lettre en provenance du Congo, adressée en août 1985 à Teresa Wagner, chargée des arts visuels à l’UNESCO, l’informe-t-elle qu’un Centre d’Enseignement des Arts et des Métiers vient d’être crée dans ce pays et que sa direction serait heureuse de recevoir tout type d’information concernant la critique d’art. La demande, dirigée vers l’AICA, fait l’objet d’un retour de la part de Raoul-Jean Moulin, vraisemblablement resté sans suite. Il faudra attendre une dizaine d’années pour que Gustave Konongo, « opérateur artistique » bénéficiant des aides de l’association Afrique en création dorénavant affiliée à l’AFAA, s’adresse à Jacques Lennhardt, qui lui indique les conditions de base pour constituer ce type d’association. Là encore, un laps de temps significatif s’écoulera avant qu’un courrier plus fourni et articulé signé par la même personne ne parvienne au secrétariat en mai 1999. Après quelques allers-retours épistolaires, les conditions semblent requises pour enregistrer la création d’une section AICA Congo, avalisée par le Bureau lors du Congrès tenu à Londres en 2000. Comme une évidence attendue, cette section est restée muette et n’a donné aucun signe d’activité notable depuis.
C’est un scenario semblable que semblent offrir d’autres tentatives vérifiables dans les archives de l’AICA, dont certaines, comme celles concernant le Mali, les trois pays maghrébins que sont le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, ont très vite avorté. D’autres sections sont, selon les dates de mise à jour effectuées par le Bureau, qualifiées de « dormantes » comme le Nigeria et le Zimbabwe, bien que le changement « nationaliste » de politique dans ce dernier pays explique qu’une association comme l’AICA puisse se dissoudre rapidement dès lors que l’intelligentzia blanche qui y vivait est obligée de s’expatrier.[1]
Deux d’entre elles, qui n’ont duré que peu d’années, méritent un peu plus d’attention car elles illustrent bien le hiatus qui sépare les critères d’évaluation de l’AICA et le contexte qui est celui de nombreux pays africains. Le cas de l’Angola est en effet limpide dans sa démonstration. C’est sur les injonctions de José-Augusto França que des collègues angolais vivant en France sont sollicités en 1985 pour établir une section de ce pays.
Fidèle dans ce qu’il avait annoncé (cf. note n° 2), celui-ci s’adresse à Victor Teixeira et David Mestre, auxquels se joint Mario Guerra, pour la constituer. Les trois formeront donc un bureau, domicilié à Massy, et l’affaire sera conclue lors du Congrès tenu à Lisbonne en 1986. Il faudra une lettre d’Hélène Lassalle, alors secrétaire générale de l’AICA, pour s’étonner de cette situation, qui voit une section nationale s’auto-déclarer comme telle avec seulement trois membres en son sein, alors que les statuts de l’AICA préconisent qu’il doit y en avoir au moins douze pour être valable, et a priori être domiciliée dans le pays qu’elle est censée représenter. L’optique volontariste et rédemptrice désirée par França ne connaîtra pas de suite, et, si on l’observe un peu mieux, elle pèche surtout par défaut d’observation et de jugement. Ses anciens collègues portugais qui ont vécu ou travaillé en Angola et sont alors installé en France ne représentent plus ce pays, et il est évident que personne n’a trop cherché à savoir ce qu’il s’y passait et quel était l’état d’une critique d’art, voire tout bonnement d’un contexte culturel. Tout à l’opposé, et de façon très représentative de la situation qui est alors celle d’une grande majorité de pays africains, lorsque la demande émane directement de l’un d’eux, les conditions de candidature sont résolument différentes et les réponses apportées par le bureau de l’AICA outrageusement administratives. A l’instar un peu de ce qui a déjà été relaté pour le Congo, le Bénin s’emploiera à former une section locale. En réponse à une lettre de Joseph Adanbe, Jacques Leenhardt, par un courrier daté d’octobre 1994, regrettera de ne pas pouvoir donner suite à cette initiative car la liste de six membres proposés n’est pas suffisante.[2] Suite à une visite infructueuse de cette personne à Paris en juillet 1995, sa requête sera reformulée en spécifiant s’il serait possible de joindre des critiques littéraires ou de théâtre pour parvenir au nombre souhaité. L’instruction, si on peut la nommer ainsi, suit son cours inexorable et grâce à une dernière missive envoyée en avril 1996 où sont précisés tous les efforts fournis pour répondre aux critères de l’AICA, - dans laquelle un P.S. émouvant ajoute : « J’ai fini par trouver le douzième », texto -, l’énergie déployée par Joseph Adanbe depuis tant d’années est enfin récompensée et une section AICA Bénin adoubée par le Bureau lors du Congrès tenu à Rennes cette même année, en présence de l’intéressé, très honoré et satisfait par ce dénouement.
Il n’y a aujourd’hui que deux sections actives en Afrique, celle qui s’est constituée en Côte d'Ivoire en juillet 1993 grâce à des personnalités telles que Tanela Boni et Yacouba Konaté - qui avaient étudié à Paris –. Elle est actuellement présidée par Simone Guiradou N’Diaye. La seconde, très récente, est apparue au Maroc grâce à l’initiative de Farid Zahi, également ancien étudiant à Paris où il avait suivi un séminaire organisé par Jacques Leenhardt en collaboration avec Abdelkébir Khatibi.
Il faudrait également recenser quelques membres de la open section, étroitement liée administrativement au bureau parisien, et qui accueille des personnalités qui, soit ont dû fuir leur pays pour des raisons politiques, soit vivent et interviennent dans des pays où le nombre de structures culturelles et d’acteurs liés à la promotion de l’art est insuffisante pour établir une association de ce type.
Reconnaissance internationale de l’art Africain, les réponses de l’AICA
Beaucoup s’accordent à dire que l’on doit à l’exposition Les Magiciens de la Terre, organisée par Jean-Hubert Martin au Centre Pompidou et à La Villette en 1989, un intérêt voire une découverte pour les arts contemporains en Afrique. Cet événement assez inédit, qui prenait le parti de montrer sur un pied d’égalité une sélection d’artistes « occidentaux » et un nombre équivalent d’artistes issus de tous les coins du Globe, donnait à voir en effet, souvent pour la première fois, des créateurs venus de nombreux pays, proposant des esthétiques ostensiblement vernaculaires mais pour la plupart informées des leçons distribuées par l’omnipotence de l’art moderne et des avant-gardes occidentales. Dans la centaine d’artistes exposés, l’Afrique était représentée d’une manière quelque peu congrue, par une dizaine de participants. La particularité de cette « représentation » était sans doute de n’assister qu’à la présence d’artistes issus de l’Afrique « noire », en affichant l’option d’une absence manifeste d’artistes vivant et travaillant au Maghreb.
Il n’y a pas lieu ici de discuter des causes et des conséquences de cette proposition, sinon à constater qu’elle s’est suivie par un intérêt indéniable pour l’art qui se créait alors en Afrique et pour les plus-values économiques que cette « étrangeté » a pu susciter. L’AICA ne pouvait rester indifférente à ce nouveau brassage de cartes, mais, fidèle en cela à ses parti pris et à ses missions, encore fallait-il pouvoir déceler des interlocuteurs locaux, avertis et aguerris, capables en quelque sorte de fourbir les armes d’une critique appropriée semblable à celle que souhaitait Argan lors de son allocution. Jusqu’à un certain point cette démarche avait déjà été amorcée par la création de la revue Third Text par Rasheed Araeen[1], artiste et critique d’art pakistanais, installé en Angleterre en 1964. Très tôt membre de l’AICA, Araeen s’était engagé dans une démarche anti-colonialiste, dont il a perçu la réalité non seulement envers les travailleurs émigrés qui s’installaient dans ce pays mais vis-à-vis des artistes eux-mêmes. Comme l’analyse parfaitement John Roberts[2], les bases théoriques développées par Araeen ont consisté à s’interroger sur les ambiguïtés de la notion de « négritude » telle que posée par Senghor, qu’il jugeait trop inféodée à une codification « occidentale » et mécaniquement articulée autour de la notion de « race » et de ses retombées nationalistes, en donnant la priorité à un point de vue plus « global » et multiracial qui opposerait systématiquement cultures occidentales et non-occidentales pour parvenir à être considérées et avalisées sur un pied d’égalité dialectiquement productiviste. On ne peut qu’être d’accord avec les positions développées dans Third Text et les « réhabilitations » de nombreux artistes d’origine africaine ou asiatique vivant principalement en Angleterre -y compris Araeen lui-même- ont été en ce cas implacables. C’est sans trop de surprises néanmoins que l’on peut vérifier que cette revue reste assez vague, sinon absente, de toute évaluation ou discussion lorsque surgissent des artistes résolument africains parce que vivant et travaillant in situ, tels ceux découverts lors des Magiciens. La raison, s’il fallait en chercher une, consisterait à reconnaître que Third Text est cantonné dans une esthétique moderne et avant-gardiste et que l’éclosion rapide et très appuyée par une demande économique ostensible d’œuvres « libérées » d’une telle historicité occidentale sont difficilement évaluables au sein des analyses dominantes de la revue, même si, a priori, Okwui Enwezor, mais aussi Gerardo Mosquera y auraient fait leurs premières armes.
La promotion affichée pour l’art africain viendra avec la création de deux revues : NKA -Journal of Contemporary African Art, et la Revue Noire. NKA est co-dirigée par Okwui Enwezor, Olu Oguibé, tous deux d’origine nigériane, et Salah Hassan, né au Soudan. Financé en grande partie par le Centre d’Etudes Africaines de la Cornell University, ce magazine est exclusivement consacré à l’art produit en Afrique mais reste assez confidentiel car peu distribué et quasi absent des pays non anglophones. A noter que seul Salah Hassan a été membre de la open section de l’AICA pendant quelques années, ce qui est assez logique si l’on considère que ses deux acolytes ont acquis une notoriété internationale grâce à leurs actions comme curateurs de nombreuses expositions, Hassan se consacrant davantage à un travail de chercheur et de critique. La Revue Noire a été mise en place par l’architecte Jean-Loup Pivin et le critique/curateur Simon Ndjami, peu après l’exposition Les Magiciens, et entendait en quelque sorte corriger et augmenter la vision de l’Afrique que celle-ci avait instauré. Support de médiation assez agressif, consacrant une grande part de ses articles à la photographie, il a surtout ouvert la voie à ses dirigeants pour des coopérations avec des institutions telles que l’AFAA, l’Institut du Monde Arabe et plus avant l’organisation d’expositions dont la plus notable a été Africa Remix, suivies des commissariats de certaines biennales, les deux dernières ayant été les éditions 2016 et 2018 de Dak’Art.
A un niveau plus institutionnel, la création de manifestations de type Biennales au tournant de la fin des années quatre-vingt et de la décennie suivante confirmeront la volonté de promouvoir les arts du continent africain sur place. Les deux biennales principales d’abord instaurées ont été celles du Caire et de Dakar. Leurs contenus et leurs intentions différaient cependant, pour des raisons contextuelles et idéologiques. La Biennale du Caire, qui a été constituée en 1986, se voulait davantage tournée vers la promotion des pays arabophones et moyen-orientaux et était farouchement rétive à tout ce qui pouvait s’apparenter à l’art conceptuel, à la performance, voire à la vidéo. Il faudra attendre l’implication engagée de Fatma Ismail, qui prendra la Présidence de la section égyptienne de l’AICA en 1992, pour que ses choix se diversifient et que sa réalisation soit confiée à des professionnels, ce qui sera le cas pour l’édition de 1998 dont le commissaire était Okwui Enwezor. Autre méthode d’élargissement des modes de sélection et de reconnaissance, Fatma Ismail décidera de confier le jury chargé de distribuer les prix de cette manifestation à des professionnels représentants des institutions d’historiens et de critiques membres d’associations internationales, ce qui explique la présence de Jacques Leenhardt, alors Président de l’AICA, à plusieurs reprises.[12]
La version sénégalaise intitulée Dak’Art, dont la première édition date de 1992, connait des débuts assez confus. Si ses intentions étaient résolument de promouvoir l’art africain le plus « contemporain », ses modes de sélection s’avéraient passablement hasardeux, s’appuyant sur des choix de « professionnels » plutôt universitaires ou professeurs d’écoles d’art que critiques, voire carrément propriétaires de galeries d’art, issus de pays majoritairement francophones. L’événement durait trop peu de temps et acceptait un « éparpillement » dans plusieurs sites de la ville, peu ou prou estampillés de facto comme participants, ce qui créait une certaine confusion lors de leurs visites. Il lui faudra deux ou trois éditions supplémentaires pour mieux se stabiliser et se professionnaliser, en faisant appel, là encore, à des compétences reconnues, telles Ivo Mesquita, Hans Ulrich Obrist, Nadira Laggoune, Kunle Filani, Simon Ndjami… A noter en mention spéciale l’édition 2006 : l’AICA est nommément invitée à participer comme premier partenaire, puisque le commissariat général est confié à Yacouba Konaté, alors Président de celle-ci, assisté de Marie-Luise Syring, commissaire chargée de la partie « Europe », la Présidence du Jury du Prix UNESCO étant confié à Henry Meyric Hughes qui se désistera au profit de la critique venue d’Inde, Geeta Kapoor, ce prix étant attribué à l’artiste marocain Mounir Fatma.
Sans doute convient-il de mettre à part les deux versions de la Biennale de Johannesburg. Si tous les observateurs occidentaux s’accordent pour dire qu’elles ont été l’occasion de réaliser sur le continent africain lui-même et dans le cadre de la fin de l’apartheid et d’une démocratie retrouvée des manifestations démontrant la situation inédite d’un mondialisme naissant, elles ont paradoxalement été mal perçues par les sud-africains eux-mêmes qui leur ont reprochés de ne pas faire assez de cas de la réalité locale, voire de reconduire une vision trop occidentale, sinon « américanisée » de l’art. La conception de ces événements a été confiée à des sommités du monde de l’art du moment, avec en premier lieu le nigérian Okwui Enwezor, aidé par des individualités telles que Jean-Hubert Martin, Gerardo Mosquera, Hou Hanru, Colin Richards...[13]
Même si la tendance de l’heure semble avoir été de privilégier la singularité renforcée du curateur et de laisser en quelque sorte en second plan celle du critique, l’AICA n’entendait pas déroger aux contributions qui sont censées être les siennes. Pour vérifier les premiers indices des analyses et des lectures de ces changements il suffit de chercher dans les intitulés -donc les thématiques- de ses congrès annuels, comme de repérer les origines et les spécialités des intervenants qui y participent.
En 1992, Kim Levin, alors Présidente de la section USA de l’AICA, organisera à Los Angeles une réunion sous le titre de Beyond Walls and Wars,[14] qui entendait discuter des événements récents qu’avait connus le monde, de la chute du mur à Berlin au récent retour à la démocratie au Chili, et, d’une manière plus « globale » du phénomène croissant du « multiculturalisme ». Deux des intervenants ont consacrés leurs exposés à des artistes « africains », ou du moins « noirs » pour le poser plus précisément. Linda F. McGreevy a relaté de manière assez réussie les circonvolutions que des artistes noirs nés et vivant aux Etats-Unis avaient dû déployer pour imposer leurs travaux, en jouant sur des feintes citationnelles qui rendaient acceptables leurs propositions. Parmi eux, David Hammons a très bien su jouer d’un arte povera fabriqué avec des rebuts de ses rues de banlieue et Adrian Piper reproduire des installations aux normes upper middle class, mais avec des personnages quelque peu incongrus vue leur couleur de pigmentation, etc… L’autre communication était dûe à Amadou Gueye Ngom, un lettré sénégalais qui était parmi ceux à qui Senghor avait confié des responsabilités pour développer globalement la situation culturelle de ce pays, et qui avait donc contribué -dans le cadre de l’ANCLA entre autres- à épauler l’école des beaux-arts, une politique éditoriale d’essais et de poésie, l’instauration d’un atelier cinématographique à la fois documentaire et fictionnel. Son intervention ne démentait pas l’admiration qu’il suscitait par son « franc-parler et sa truculence », en critiquant ouvertement l’inféodation que beaucoup d’artistes africains avaient pu exposer en s’évertuant à utiliser des codifications « euraméricaines », et en reniant, ce faisant, leurs propres « dieux », en constatant simplement l’impuissance à produire de telles copies sur place alors que les outils requis – pinceaux, couleurs en tubes, toiles de lin - étaient rares ou coûteux et qu’à l’inverse, l’utilisation des matériaux « traditionnels » - écorce d’arbre, pigments végétaux, toiles de jute- ne semblaient que satisfaire les touristes en mal de trophées. On ne peut, bien entendu, que donner raison à un tel réquisitoire, mais dans le même temps, on ne peut que s’interroger sur les modèles qu’il favorise. L’attention grandissante et l’investissement croissant amorcés par les expositions type Magiciens et l’implantation d’événements genre biennales ou autres manifestations sur le territoire africain lui-même constituent la preuve que les analyses soutenues par Ngom appartiennent à une génération passée et qu’elles se manifesteront souvent par des positions pleines de ressentiment, comme il nous sera donné de le vérifier plus avant.
Cette volonté de ne pas « rater » l’Afrique s’exprimera à nouveau, chichement, lors du congrès suivant tenu à Stockholm en 1994, sous le titre générique de Strategies for Survival, qui verra une courte communication de Joseph Adanbe faire un résumé de la situation artistique au Congo. Dans un certain sens, et comme pour ratifier la description faite par Ngom, il y sera beaucoup question d’artistes déjà « confirmés », oscillant entre les esthétiques enseignées par les anciens colons et des repères vernaculaires venant s’y ajouter pour aboutir à une mixité formelle guère convaincante.
La mise en place de réelles tentatives d’interventions et le développement d’un appareillage « critique » qui essaie de discuter de la situation africaine se fera, comme souvent, non tant par la priorité contemporaine à devoir s’y atteler, et donc par une quelconque obligation éthique, mais plus simplement par le biais de rencontres fructueuses, par des « accidents » opportuns, les uns n’éludant pas les autres, heureusement. La mode est à l’Afrique pour un certain temps, dans la politique de substitution qui est l’apanage de la redistribution de marchandises du post-moderne, c’est du pain béni après l’épuisement des ressources de la Transvanguardia italienne, du néo-expressionisme allemand, de la nouvelle sculpture anglaise, de l’école post conceptuelle de New York, d’un brin d’art post-franquiste espagnol, de la délivrance après-communisme russe, d’un intérêt limité pour l’ex Yougoslavie et un très maigre appétit pour l’Amérique Latine sinon à considérer les « balseros » cubains, d’un égrenage de curiosités moyen-orientales offert par des artistes femmes telles Shirin Neshat, Mona Hatoum, Susan Hefuna voire Hayshee Arkmen, et d’un vrai problème avec l’Asie qui soit nous copie trop, soit a été trop copiée elle-même. L’Afrique est bienvenue, arrive à point nommé, et jusqu’à un certain point, est insondable, tant elle est différente, « non-occidentale », étrangère dans ses codes et ses modes d’expression.
Premières opérations Afrique/AICA
C’est vers la fin de l’année 1995 que l’AICA France -dont j’étais le Président alors- sera saisie par l’Association Savoir au Présent, dirigée par Lise Didier-Moulonguet, pour participer à une opération supportée par l’AFAA via son programme Francophonies de l’Art -auquel contribuait aussi la DAP-, consistant en l’accueil de quelques « critiques d’art » africains, pour mettre en place un séminaire de « recherches » sur l’art contemporain. D’abord dubitatifs sur la nature du projet, nous avons accepté de contribuer à cette opération qui s’est tenue en janvier 1996. La part de « travail » qui nous était dévolue s’avérait assez restreinte, se limitant à quelques rencontres pour débattre de la critique et comparer son application éventuelle selon les contextes et les enjeux, et à accompagner le groupe invité pour la visite de quelques expositions. Anne Dagbert a bien voulu se charger de celles-ci et Jacques Leenhardt s’est joint à nous lors de quelques débats. Par ailleurs, mais cela ne faisait pas partie de nos attributions, des visites d’ateliers ont donné lieu à des « exercices » d’écriture qui étaient supervisés directement par Savoir au Présent. Franchement, je ne me souviens de rien de notable des journées passées ensemble, sinon qu’elles m’ont semblé comme le récitatif d’un cahier de doléances assez convenues, et heureusement, qu’elles ont été l’occasion de faire la connaissance de quelques personnalités affirmées, avec qui j’ai pu par la suite entretenir des relations et mettre en place des projets bien plus enrichissants que l’épisode parisien. Yacouba Konaté est l’un d’eux, auquel je joins sa compatriote ivoirienne Tanella Boni, et le marocain Farid Zahi. Une version « anglaise » de ce type d’opération a suivi celle tenue à Paris. Sous la houlette de Katy Deepwell, alors Présidente de la section anglaise de l’AICA, elle se dirigeait bien entendu vers des pays anglophones du continent africain. Je suis allé à Londres pour assister rapidement à une des séances de travail, qui semblait bien mieux élaborées que celles que nous avions développées à Paris. Cela a été pour moi l’occasion de rencontrer Fatma Ismail et Gilane Tawadros, qui aiderons à la mise en place de projets et d’autres rencontres utiles et bénéfiques pour les opérations que l’AICA développera par la suite en Afrique.[15]
La première vraie « opération » que l’AICA mènera en Afrique s’est accomplie, si l’on peut dire, légèrement par la bande. En juillet 1998, Kim Levin, alors Présidente de l’AICA international, et moi, avons rencontré Tereza Wagner, chargée des sections « Créativité et Copyright » à l’UNESCO, qui a bien voulu nous avertir que cette institution espérait pouvoir compter sur l’AICA, au titre d’ONG représentative, pour gérer l’attribution d’un prix pour la jeune création, que le mécène et artiste japonais Maître Kaii Higashiyama dispensait chaque année lors de la tenue d’une Biennale d’art contemporain depuis 1993, et dont il avait confié l’opération à cette institution. Nous avons illico accepté l’aubaine, même s’il restait à décider vers quelle biennale iraient les suffrages, sachant que celle de Venise s’était tenue l’année précédente. Très vite, la décision d’opter pour Le Caire l’a emporté, même si cela supposait de mettre les bouchées doubles, puisque son inauguration était prévue le 12 décembre de cette même année ! Grâce au soutien indéfectible de Federico Mayor, Directeur Général de l’UNESCO, et de Milagros del Corral, Directrice de la Division de la Créativité de cette institution, les obtentions de visas, transports aériens et autres réservations d’hôtels ont été largement facilitées pour toutes les personnes contactées comme membres du jury de l’attribution dudit prix, composé par M. Sato, représentant du Japon en l’Ambassade de ce pays au Caire, Mme Cecilia Zambrano, directrice de galerie d’art à Bogota – en remplacement de Mona Hatoum qui avait dû se désister et sur les recommandations de Tereza Wagner je crois-, Yacouba Konaté que j’avais fortement recommandé, Fatma Ismail enfin, plus la présence de Kim Levin comme Présidente et de moi-même comme secrétaire. Ahmed Fouad Selim, le correspondant égyptien, qui arborait la double casquette de Commissaire Général de la Biennale et de Président de la section AICA locale a également été d’un grand secours mais, au-delà, c’est bien dans l’opportunité des rencontres et des discussions que nous avons pu avoir avec un grand nombre d’acteurs de l’opération que celle-ci s’est avérée fructueuse et prometteuse. Il serait trop long d’en établir une liste, mais il suffit de retenir les noms de certains d’entre eux qui, par la suite, contribueront aux actions que l’AICA développera en Afrique pour le confirmer : Salah Hassan ; Bassam El Baroni, critique d’art basé à Alexandrie ; Barbara Murray ; George Abungu, directeur du Musée d’art et d’archéologie de Nairobi, au Kenya ; Emma Bedford qui travaillait encore au Musée du Cap à ce moment-là ; sans omettre les présences de Beral Madra, Olu Oguibé, Okwui Enwezor, commissaire général de l’événement, sinon celles de Joseph Kosuth, qui présidait le jury officiel de la Biennale et Gérard Xuriguera qui en faisait partie ! Après plusieurs visites dans l’ensemble des lieux d’exposition de cette Biennale, le jury était invité à rendre son verdict, lors d’une « cérémonie » qui voyait l’ensemble des prix distribués. Las, la situation politique de l’heure a rendu les événements difficiles, puisque, suite à l’opération Fox Desert lancée par l’armée américaine quelques jours plus tôt et qui avait vu un grand nombre de civils Irakiens tués, l’Egypte avait décidé de rompre ses relations diplomatiques avec les USA. Il a fallu beaucoup de circonvolutions et un brin d’autorité pour que Kim Levin puisse rendre compte des décisions du Jury AICA/UNESCO, malgré le départ intempestif du Commissaire Général et d’autres sommités locales… Cette anecdote malvenue a eu pour effet de rappeler à quel point cependant beaucoup de pays africains étaient susceptibles d’être frappés d’instabilité politique, et combien il fallait être prudent avant de décider la mise en œuvre d’un projet dans un tel contexte. Comme nous le verrons, cet enseignement n’a pourtant pas été suffisant puisque l’AICA aura à corriger à deux reprises ses intentions dans les années suivantes malgré des prévisions apparemment favorables. La liste des lauréats dont je dispose se compose de sept « nominés », mais je ne pense pas qu’ils aient tous été récompensés avec le seul montant alloué par l’UNESCO, malgré ce qui est précisé sur le document. Je suis sûr que Bernie Searle a emporté maints suffrages avec son montage de photographies où on la voit, allongée sur une sorte de panneau de bois, nue, et recouverte de pigments qui vont de la farine la plus blanche à la poudre de charbon la plus noire, en suivant une déclinaison curry, cacao, café, et en cinquième position aucune poudre sur son corps, sinon sa nudité la plus pure. La clef de l’intrigue de cette « composition » renvoie avec un effroi mêlé d’intolérable au nuancier utilisé pendant le régime de l’apartheid, que les citoyens sud-africains devaient supporter comme indice de leur « recevabilité » sur leurs documents d’identité variant d’aplats colorés distinctement selon leur « légitimité ». Je pense que Abdel Ghani et sa sœur Amal Kenawy avaient emporté le grand prix « officiel », même si, en effet, la décision de récompenser plusieurs candidats avait été retenue.[16]
Cette parenthèse cairote a été très bénéfique pour l’AICA, puisqu’elle a été l’occasion de tisser des liens solides avec des personnalités du monde de l’art de plusieurs pays africains et des acteurs occidentaux qui seront dans les années suivantes de vrais partenaires pour les interventions que l’AICA organisera dans ce continent. La décennie 2000 est celle où se multiplient les manifestations en faveur des arts africains, qui connaîtrons une promotion vérifiable avec bon nombre d’expositions organisées lors de trois biennales de Venise successives, comme par le biais d’événements aux contenus volontairement thématiques qui iront en privilégiant la place et l’importance des femmes artistes en écho à la frénésie des corrections mondialistes de l’heure.[17]
C’est justement en l’an 2000, les 15 et 16 juin exactement, que l’AICA organise un symposium à l’occasion de la célébration de l’inauguration du nouveau musée des Abattoirs à Toulouse. Sous le titre L’Engagement, celui-ci réunira de nombreux intervenants issus de plusieurs régions du monde, Salah Hassan et Yacouba Konaté représentants l’Afrique.[18] C’est là la preuve -modeste dans ce cas- que l’AICA, lorsqu’elle est sollicitée pour organiser un tel type de rencontres et dans un tel contexte, se doit d’être attentive aux « symptômes » qui se manifestent d’une manière globale et respecter la vocation internationale qui est la sienne depuis sa fondation, en essayant de fédérer des points de vue forcément divers pour discuter et comparer de l’actualité de la création.
Politique d’intervention de l’AICA en Afrique
C’est donc en toute logique que le projet d’organiser le prochain congrès de l’AICA en Afrique prend forme et que le choix de le réaliser à Abidjan à l’automne 2002 est entériné. L’intérêt d’un tel projet est multiple : d’abord il sera le premier réellement décidé et discuté au préalable par les membres de l’AICA lors des séances plénières du Conseil d’Administration, tous s’accordant à reconnaître que l’épisode Kinshasa est tout au moins exceptionnel ; ensuite il viendra confirmer et appuyer l’intérêt que l’AICA manifeste depuis une décennie pour ce continent ; enfin sa conception et sa thématique seront réellement confiées à des collègues africains, avec comme socle une section ivoirienne dynamique présidée par Yacouba Konaté, assisté à des titres divers par l’AICA Sénégal et des collègues des pays francophones limitrophes, mais aussi par Barbara Murray, dorénavant installée à Londres, et Emma Bedford depuis l’Afrique du Sud, auxquels s’ajoute l’équipe de NKA. La faisabilité de ce Congrès est en outre assurée par l’intérêt participatif qu’assurent la Prince Claus Foundation, basée à Amsterdam et par l’AFAA où Florence Alexis s’est vu confier les manœuvres du projet Afrique en créations. Ces transactions ont été rendus possibles par des rencontres lors de l’inauguration de l’exposition Authentic/Ex-Centric, organisée par Salah Hassan et Olu Oguibé dans le cadre de la 49ème Biennale de Venise à laquelle j’étais invité, redoublées de nombreux RDV à l’AFAA et au bureau de l’AICA. D’autres sollicitations pour constituer un budget solide sont entreprises auprès de la Getty Foundation, de l’UNESCO, du Centre Culturel Français, du British Council et du Goethe Institut. En ajoutant les inscriptions pour assister au Congrès, le budget disponible, hors la part ivoirienne proprement dite, s’élevait à 83000 €, et permettait d’envisager la réalisation de ce congrès dans les meilleures conditions.
Hélas, c’est juste avant les dates retenues pour se rendre à Abidjan qu’a éclaté le 19 septembre 2002 un conflit civil, qualifié de « crise politico-militaire » par l’historiographie, mais qui se concrétisera par un soulèvement armé de partisans pro Alassane Ouatara et anti Laurent Gbabo, actuel Président qui s’était façonné une constitution lui assurant un pouvoir quasi dictatorial et pérenne. Abidjan, en soi, n’était pas vraiment le théâtre d’altercations ou de fusillades, mais le Bureau de l’AICA, face aux craintes exprimées par nombre de ses membres, dût se résoudre, par prudence minimale, à abandonner ce projet. En compensation un CA sera organisé à Paris, avec deux petites journées supplémentaires de communications organisées un peu à la va-vite et sans ossature précise.
Cette mésaventure posait cependant des problèmes concrets au bureau de l’AICA : non seulement elle venait empêcher ses souhaits d’intervention en Afrique, mais elle soulevait un problème crucial au niveau de son budget, puisqu’elle supposait que soient restituées toutes les contributions et les aides allouées, qui avaient été déjà en partie utilisées en faisant appel à des assistants et pour l’achat de billets d’avions et autres nécessités bureautiques. Très vite, la solution de trouver une compensation qui puisse satisfaire tout le monde a été envisagée, et rapidement avalisée en décidant d’organiser dès l’année suivante une double opération symposium/ séminaire à Dakar, qui engloberait en quelque sorte le contenu des thèmes prévus dans le cadre du congrès avorté à Abidjan et un supplément « local » axé sur la participation d’étudiants et de chercheurs sénégalais, provenant de l’école des beaux-arts, de l’université ou travaillant à l’étranger, i.e. le plus souvent chercheurs dans des universités françaises. La faisabilité de l’opération était confortablement assurée, puisqu’ aucun des donateurs qui avaient accepté de contribuer au Congrès d’Abidjan ne s’est désisté, au vu des événements en cours, et la partie « symposium » était intégralement financée par une aide de l’Etat sénégalais et surtout par l’association Dak’Art - qui gère la biennale de cette ville -, qui n’avait pas lieu cette année-là. Les dates retenues pour la tenue de ces rencontres ont été les 25/29 juin pour le symposium et les 02/03 juillet 2003 pour le séminaire. Son titre Art, minorités, majorités, indiquait les directions de discussion et d’analyses qu’avaient souhaité donner les organisateurs aux débats, en insistant sur la nécessité à repenser ou repositionner les procédures inhérentes aux systèmes de distribution et de nomination de l’art propres au modèle occidental, et donc de chercher à les corriger et à les actualiser en prenant en compte de nouvelles situations, sinon de nouvelles offres, telles qu’elles s’affichaient d’une manière de plus en plus manifeste et qui ne pouvaient plus être ignorée. Jacques Leenhardt avait adressé une maligne missive aux organisateurs en les avertissant de voir ce séminaire se résumer à « une agréable et informelle rencontre », mais force est de reconnaître que malgré quelques incongruités ou quelques livraisons trop teintées par l’amertume et le ressentiment latent exprimé par Gueye Ngom lors du congrès de Los Angeles -je pense particulièrement ici à la diatribe inaugurale de Iba Ndiaye Diadji- les communications et les débats qui s’en sont suivis ont été de bonne tenue, sinon de qualité. Ils ont bien sûr démontré les déphasages des contextes nationaux qui existent en Afrique, dépendants de plusieurs phénomènes tels que l’inégalité des « héritages » coloniaux, les potentialités économiques dont ils disposent, l’intérêt voire la « lisibilité » d’une création artistique selon les contextes.[1] C’est en cherchant à élargir les origines des locuteurs invités que ce séminaire s’est vu, en quelque sorte, également enrichi. Si la présence des intervenants francophones était majoritaire, l’invitation faite à deux collègues du Nigéria ainsi qu’à l’une provenant d’Ethiopie a été bénéfique à plusieurs niveaux. D’abord, elle a permis, sinon pour la première fois du moins depuis très longtemps, de renouer des contacts avec l’immense et protéiforme territoire qu’est le Nigeria, et par ailleurs il a amorcé l’éventualité, concrétisée assez vite, d’organiser le même type d’événement en Ethiopie, pays mal connu, et situé dans une partie de l’Afrique encore peu présente en comparaison avec d’autres contextes très représentés parmi la quantité d’artistes ayant acquis une reconnaissance internationale. Cette éventualité a été de fait très tôt proposée par Meskerem Assegued, qui dirigeait le Centre d’art Zoma à Addis Abeba, et qui se portait garante de sa faisabilité grâce à des aides locales mais surtout sur celle de la Ford Foundation établie conjointement au Caire et à Nairobi.
Les dates de ce deuxième séminaire africain ont été arrêtées en juin 2005, mais, comme une ritournelle désagréable, des conflits entre partisans des deux principaux partis politiques de ce pays qui revendiquaient chacun la victoire contre l’Erythrée lors d’une guerre qui avait duré deux ans, auquel se joignait une tentative d’entrisme de la part des Frères Musulmans, empêchaient par mesure de précautions son organisation. Un scénario déjà connu semblait se répéter encore, avec les mêmes inquiétudes et les dures réalités qu’il entraînait tant sur le plan budgétaire que sur la probabilité de laisser croire que l’AICA n’était décidément pas fiable dans ses choix et ne méritait plus la considération dont elle bénéficiait. Le miracle de l’épisode ivoirien précédent semblait pourtant se renouveler, d’autant que la situation dans ce pays s’était « assainie » et qu’il n’y avait donc pas lieu de chercher une solution de remplacement !
Le séminaire a été organisé du 26 au 28 janvier 2006 et les seules anicroches, minimes, auront consisté à renouveler les visas d’une partie des intervenants, surtout européens. Sous le titre La critique d’art et ses pratiques curatoriales dans des contextes minoritaires, les interventions portaient surtout sur la place et la représentativité qui était celle de cette région du monde dans le cadre d’événements tels que la biennale de Venise, la Documenta de Cassel ou lors de manifestations plus locales, telles les Biennales du Caire ou d’Istanbul, la nouvelle conception d’une biennale itinérante démontrée par Manifesta, puis décrivaient les situations culturelles et muséographiques de pays aussi divers que l’Ethiopie, le Zimbabwe et le Kenya. Encore une fois, les analyses avancées par des intervenants issus d’Egypte, de Turquie, d’Afrique du Sud, ont démontré les fossés plus ou moins irrémédiables qui existaient entre de tels pays et d’autres tels l’Ethiopie en premier lieu, le Zimbabwe eu égard à sa situation politique malmenée, voire le Kenya d’une façon assez flagrante pour tout ce qui touchait l’accès à la culture et à une diffusion élémentaire d’informations, donc d’échanges. Partant, les efforts prioritaires d’abord pédagogiques et partiellement d’éducation artistique que connaissent surtout ces trois derniers pays ont donné lieu aux communications les plus pertinentes, même si la place de la « critique d’art » stricto sensu y paraissait quelque peu incongrue. Je me permettrais d’ajouter que ce séminaire a été l’occasion de voir « face-à-face » notre ancêtre Lucy, squelette gracile d’un australopithèque de 1,10 m de hauteur et découvert dans la vallée de l’Omo située au nord de l’Ethiopie. Une expérience émouvante mais rendue difficile, puisqu’il fallait contourner un des nombreux portraits officiels de l’ex Empereur Hailé Sélassié, pour la découvrir dans un des recoins du Musée National d’Addis-Abeba, comme si sa « nudité » rendait toujours délicate son « exposition » ! Un peu à l’instar de ce qui s’était passé à Dakar, la présence de deux intervenants Sud-africains, travaillant tous deux à la Michaelis School of Art, a enclenché le désir de poursuivre ces rencontres dans le pays le plus méridional de ce continent.
L’affaire s’est conclue assez rapidement, et n’a pas eu à souffrir pour une fois des vicissitudes politiciennes du pays hôte. Elle a par ailleurs bénéficié du soutien indéfectible de l’UNESCO, de la Prince Claus Fund, auxquels se sont ajoutés une contribution appréciable de l’Association Africalia basée à Bruxelles depuis 2001, conjointement avec Art Moves Africa, sa filiale, et de la VANSA, organisme public local qui joue un rôle de secrétariat à la culture au sein du gouvernement. Le séminaire s’est déroulé des 8 au 10 novembre 2007 et s’est tenu au sein même de la Michaelis School of Art, c’est-à-dire dans un contexte idéal pour organiser les débats et les communications, profitant de facto de l’un des auditoriums du département « arts » de cette université, d’un espace de travail annexe et d’une bureautique plus que suffisante. Ce détail, qui n’en est pas un, suffirait déjà à démontrer à quel point les disparités structurelles sont tangibles et sans appel lorsque l’on compare les outils d’enseignement et de promotion selon les pays où se sont déroulés ces séminaires. Si le Congrès d’Abidjan avait pu se réaliser il aurait eu lieu à l’Université de Cotonou ; où je suis intervenu à plusieurs reprises sur l’invitation de Yacouba Konaté avant le projet du congrès et après pour contribuer à des séminaires riches d’enseignements sur la réalité d’une « critique » artistique qu’il faut davantage considérer comme un journalisme culturel ouvert à toutes les manifestations -musique, danse, design, photo et vidéo, en vrac- mais dans lequel les arts visuels ont la portion congrue ; l’occasion aurait été donnée de voir une structure fragile, en partie défaillante mais soutenue par l’engagement de quelques personnalités notables. A Dakar, le séminaire avait dû se dérouler dans un semblant de centre culturel, solution certainement dictée par la politique locale, mais révélatrice du déficit affiché par l’école d’art en termes de ressources. Une situation en un certain point exacerbée à Addis-Abeba, où nous avions dû compter sur la bienveillance de l’Institut Français pour nous accueillir, ce qui semblait aller de soi lors de la visite de l’Ecole des beaux-arts qui affichait une précarité sans équivoque. Et je ne peux m’empêcher de mentionner le spectacle disgracieux de ce même type d’établissement lorsque nous avions été invités, avec quelques collègues, à présenter nos projets dans le cadre des manifestations organisées en France en 2003 pour « L’Année de l’Algérie ».
Cette digression pour souligner les évidences : l’Afrique du Sud est un pays à part dans le contexte global africain, qui bénéficie et dispose d’outils et d’instruments d’éducation et de promotion artistiques incomparables ; un pays qui est sans doute le plus anciennement et le mieux relié à l’histoire de l’art occidentale depuis un bon centenaire ; dans lequel avait été instauré un salon d’art annuel où l’on pouvait admirer les productions d’artistes locaux démontrant leurs savoir-faire et leur connaissance des tendances esthétiques de l’heure, sans doute avec un léger retard « provincial » mais qui n’est pas sans rappeler ce que l’on connait dans nombre de pays d’Amérique Latine.[20]
Bien sûr, cela n’enlève en rien que ce pays est parmi ceux qui ont connu un des pires régimes qui soit, que l’accession à la démocratie n’a pas empêché une discrimination économique encore flagrante, quand elle n’a pas généré un retournement de comportement qui voit s’appliquer un sectarisme inversé qui ne tient guère compte des compétences mais privilégie des origines contestables. Tout ceci était palpable lorsque le séminaire AICA a eu lieu ; il a paru commencer de la meilleure des façons avec l’invitation faite à tous les participants de se joindre au vernissage d’une exposition conséquente de Marlène Dumas à l’Iziko Museum dont la curatrice était Emma Bedford, mais qui a dû laisser la directrice de cet établissement et la présidente des amis de cet établissement, toutes deux « noires », prendre la parole sans lui laisser l’opportunité de dire quelques mots sur l’opération. Elle, comme l’artiste d’ailleurs, étaient un peu reléguées en deuxième file durant ces allocutions. L’avantage du séminaire AICA, si l’on peut dire, était d’être totalement indépendant, privé de tout discours solennel, et cantonné pour le mieux dans l’enceinte de la Michaelis. La thématique de cette rencontre, quelque peu alambiquée, pourrait se résumer à la tentative de rendre compte des différences existant dans le continent africain, et donc d’enregistrer à quel point l’appellation d’« art africain » s’est fabriquée par commodité et par une certaine vénalité. En conséquence, l’enjeu sous-jacent que pouvait apporter l’AICA consistait à enregistrer au mieux ces situations, à les évaluer, et à contribuer à les améliorer, en souhaitant, sous-entendu, que des sections puissent voir le jour ici où là, ou que tout au moins certains collègues viennent intégrer la open section pour maintenir un contact. Jusqu’à un certain point, ce séminaire a été encore plus édifiant que celui de Addis-Abeba, car il a bénéficié des témoignages de professionnels venant de pays aussi complexes que la Zambie, la Namibie, le Botswana et le Mozambique qui offrent chacun des particularismes inextricables, provenant souvent des situations coloniales endurées lors de la présence des ex-puissances européennes, de leur reconstruction géographique arbitraire, et, d’une manière malheureusement répétitive, d’une carence d’aides publiques en termes éducatifs et bien sûr culturels. En contre-point, et malgré la situation interne, l’intervention d’un conservateur de la National Gallery du Zimbabwe dressait un compte-rendu très valorisant de la politique culturelle qui semblait se maintenir dans ce pays, quand les communications de Bassam El-Baroni pour l’Egypte et d’un bon nombre d’acteurs locaux ne faisaient que confirmer ce paradoxe continental qui voit un pôle nord-est et un pôle sud-ouest s’avérer les plus dynamiques, comme si les pires et les plus durables implantations exogènes avaient produit les meilleures infrastructures toujours actives.
On peut essayer de faire un bilan de ces trois séminaires en se basant sur des statistiques simples : ils ont permis à soixante invités de s’exprimer, dont parmi eux quarante africains représentant seize nations de ce continent. Les autres intervenants se répartissaient entre une quinzaine d’Européens majoritairement membres de l’AICA, auxquels il faut ajouter des collègues venus d’Amérique Latine, de Turquie et du Pakistan. En affinant un peu ces données, on peut préciser que les pays situés dans le cône sud de l’Afrique formaient un groupe assez important de six pays et de douze intervenants, ceux situés à l’Ouest le long de la frange de la Mer Rouge en comptaient sept pour quatre pays, l’Afrique francophone était assez mal représentée avec trois pays et sept conférenciers dont un seul congolais, le Maghreb étant un peu la portion congrue avec un seul collègue marocain et une seule intervenante algérienne. Dans une grande majorité les personnalités invitées étaient des professeurs d’université ou d’écoles d’art, des conservateurs de musées, voire des directeurs ou responsables de lieux d’exposition. Seuls trois d’entre eux mettaient d’abord en avant leur implication à un niveau « critique » : Rasheed Araeen, Bassam El-Baroni et William Bwalya Miko.
D’une façon modeste, mais plutôt bien illustrée, les contenus de ces rencontres viennent nous informer sur les disparités qu’affiche ce continent, sur l’importance sinon la valeur qu’ont des concepts tels que création, arts visuels, critique, patrimoine, enseignement. Sans aucun doute la plus-value assez inédite qui provient de l’ensemble comparatif de ces interventions se vérifie par la part donnée à des pays relativement déconsidérés, très rarement sollicités lorsqu’il s’agit de s’informer sur la réalité des situations culturelles et artistiques de la manière la plus complète et objective.
L’AICA, alors toujours présidée par Henry Meyric Hughes et où ma fonction de secrétaire général perdurait, a légitimement décidé de publier les communications de ces trois séminaires exceptionnels. Outre l’intérêt de diffuser la richesse des matériaux qui s’étaient ainsi accumulés, cette décision répondait justement aux missions qui sont celles de cette ONG : établir des échanges et diffuser des informations sur la présence et la pratique d’une lecture critique de l’art en respectant avant tout un engagement éthique et donc en rapportant objectivement les disparités d’analyses, de contextes, d’investissement qui peuvent se manifester selon les intervenants, leurs convictions voire leurs contradictions, leurs antagonismes et leurs idéologies.
Il n’y a pas eu, à proprement parler, de suivi des interventions de l’AICA dans ce Continent depuis une dizaine d’années, mais ce n’est pas pour autant que cette ONG a délaissé l’Afrique. Grâce à l’implantation de la Fellowship Fund, la décision d’attribuer annuellement le Young Critic’s Prize prioritairement dirigé vers des collègues travaillant dans des contextes économiquement difficiles a permis de reconnaître et d’aider deux d’entre eux. Par ailleurs, dès qu’elle a été nommée Présidente de l’Association en 2017, Lisbeth Rebollo Gonçalves m’a confié la mission de reprendre contact avec les pays africains francophones pour amorcer la création de nouvelles sections ou leur réimplantation, sinon, tout au moins, d’envisager la réalisation de séminaires et autre type de projets « critiques » qui pourraient avoir lieu dans l’un de ces pays. En l’état, cette mission est encore balbutiante faute de moyens adéquats, mais elle augure d’autres éventualités et confirme une attention non démentie pour la diversité et la richesse culturelle et artistique de cette région du globe, sinon l’urgence à ne pas l’omettre dans la complexité du mondialisme croissant qui est le nôtre.
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[1]Histoires de 50 ans de l’AICA, ed. aicapress, Paris, 2002, et AICA in the Age of Globalism, ed. aicapress, Paris, 2010.
[2] Lors de son intervention à la journée de célébration des 50 ans de l’AICA qui s’était tenue à l’UNESCO en 1998, Pierre Restany l’avait qualifié de « sublime, admirable, effarant, et presque dadaïste » ! J’ai toujours pensé qu’il avait pesé lourdement pour que cet évènement ait lieu mais, sans négliger cette possibilité, j’ignorais totalement qu’existait alors une section AICA Zaïre tels qu’en attestent quelques rares documents enregistrés aux Archives. Celle-ci était dotée du statut particulier d’association à « caractère exclusivement gouvernemental », son Président était le Professeur Célestin Badibanga -qui le restera par la suite lorsque ce pays devient la République Démocratique du Congo -, mais la figure centrale de cette section semble avoir été le Révérend Père Joseph Cornet, dont la mission essentielle a consisté à organiser les premières expositions conséquentes d’oeuvres africaines « traditionnelles » qui ont circulé en Europe et aux Etats-Unis. Des courriers antérieurs à l’organisation du Congrès entre cette personnalité et René Berger où sont évoquées ces possibilités de monstrations et d’éventuelles contributions de l’AICA pour les organiser, viennent ajouter des éléments explicitant le pourquoi d’un choix aussi impensable, sans que toutes les clefs de cette décision ne soient réellement disponibles.
[3] Par un courrier daté du 25 janvier 1973, René Berger remercie Charles Bokonga, Commissaire d’Etat Chargé de la Culture, de lui avoir transmis le contenu du programme proposé pour ce Congrès. Cette lettre, fidèle au style ironique de Berger, recommande de ne pas trop s’égarer entre « tourisme » et « travail » et impose clairement de prononcer lui-même une sorte de courte introduction, ainsi que de laisser du temps à des « débats » afin que les membres de l’AICA qui se seront déplacés puissent contribuer aux communications. In fine, il suggère d’ajouter une sorte de conclusion à « la parenthèse lions, léopards, éléphants, antilopes, hippopotames… » censé clôturer celui-ci. En décembre 1973, un courrier de Céléstin Badibanga communique la liste -sidérante- des participants non-africains à ce Congrès. Pas moins de 135 membres de l’AICA se sont rendus au Zaire, dont nombre de français, de belges, de suisses et d’italiens, et dans une moindre mesure des représentants des deux Allemagnes, des yougoslaves, suédois, canadiens, japonais, une paire de hollandais, de brésiliens et de nord-américains, plus un seul anglais et un seul argentin. On comprend mieux la stupéfaction rapportée par Restany, qui nous laisse croire que, si d’aventure, nous aurions souhaité y participer également…
[4] Dans son ouvrage Memorias para o Ano 2000, José-Augusto França se fait un malin plaisir de souligner que l’AICA Portugal était assez fantomatique, constituée par quelques vénérables universitaires ou académiciens qui avaient surtout comme objectif de s’opposer à l’indépendance naissante de la Fondation Gulbenkian. França précise comment, lui, ses collègues et amis, ont pu « balayer » les objectifs de cette première section lorsqu’il a été possible d’en reconstituer une dès l’année 1974, et combien ils ont essayé d’en instaurer d’autres dans les anciennes colonies portugaises africaines (voir infra).
[5] Henry Meyric Hughes, dans une note envoyée après lecture d’un premier jet de ce texte, rappelle que c’est Andrew Lamprecht, professeur à la Michaelis, qui s’était engagé pour rétablir une section AICA, mais que ses tentatives avaient avortées parce qu’il insistait sur l’obligation de pouvoir en confier la Présidence à un collègue noir. Une solution calquée sur le modèle de la Section des Caraïbes, alors dynamique, avait été envisagée en regroupant certains pays voisins, - le Bostwana, la Namibie, le Mozambique et l’Afrique du Sud -, dont Neo Matoke, artiste et intervenante à l’Université du Bostwana aurait pris la direction, avant que celle-ci ne renonce vue la charge de travail que cela supposait.
[6] Pour mieux cerner la partie « arts visuels » de cette fameuse Ecole de Dakar, je renvoie vers l’article de Ima Ebong : Négritude : Between Mask and Flag – Senegalese Cultural Ideology and the « Ecole de Dakar », paru dans le catalogue de l’exposition Africa Explores, curatée par Suzanne Vogel en 1990, manifestation qui reste une tentative controversée d’analyse des arts africains du XX° siècle…
[7] Cet exemple illustre l’ambiguïté latente des « qualifications » qu’endossent nombre de partenaires potentiels lorsqu’ils manifestent le souhait de créer une section nationale de l’AICA dans certains des pays du Continent Africain, voire dans d’autres régions du Globe ! On peut légitimement se demander quels étaient les objectifs recherchés par ce personnage et s’il n’était pas tout bonnement un « imposteur » qui entendait profiter du blanc-seing accordé par l’habilitation que lui offrait le titre de « Président ».
[8] Toutes proportions gardées, le Zimbabwe connaissait une situation politique semblable à celle de l’Afrique du Sud, sinon avec les pays lusophones, où une minorité coloniale implantée de longue date, qui se constituait de propriétaires terriens et d’une bourgeoisie détenant les rênes du pouvoir économique, décisionnel et partant culturel et universitaire. Les témoignages de Barbara Murray, exilée à Londres et ex-Présidente de l’AICA dans ce pays, sont édifiants à ce sujet, tant ils traduisent une bonne volonté participative, troublée par une cécité contextuelle véritable, que les revendications nationalistes de Robert Mugabe, qui avait su mettre un terme au régime dictatorial de Ian Smith et au compromis mal fagoté d’une Rhodésie/Zambie imaginé par le Commonwealth, ne sauraient excuser.
[9] Les Statuts de l’AICA imposaient d’avoir au minimum 12 membres pour pouvoir former une section nationale, règle qui a perduré jusqu’au mandat de Kim Levin, lorsque la décision d’être moins « exigeant » et d’accepter un nombre inférieur s’est imposée avec les créations de sections dans de nouveaux pays tels ceux de l’ex Yougoslavie, pour le cas particulier de la diaspora géographique des Caraïbes, pour nombre de pays de l’ex URSS et pour les nations africaines entre autres. Cette flexibilité est toujours en vigueur a priori.
[10] Moins connue que Les Magiciens, l’exposition The Other Story, qui s’est tenue à la Hayward Gallery de Londres la même année, dont Araeen était le commissaire et le directeur de publication du catalogue qui l’accompagnait, mériterait une attention égale et même complémentaire puisqu’elle est davantage basée sur les régions anglophones productrices d’une semblable diversité.
[11] John Roberts, Third Text: Modernism, Negritude, and the Critique of Ethnicity, in catalogue exposition Rasheed Araeen, Ed. Nick Aikens, 2017, itinérante : Baltic Center, Gateshead, Garage, Moscou, MAMCO, Genève et Van Abbemuseum, Eindhoven.
[12] Suite aux mentions antérieures sur la création quelque peu forcée d’une section égyptienne et sur de longues années d’absence enregistrées, il faut souligner que l’AICA tentera de reprendre contact avec ce pays en 1993. Les transactions seront quelques peu énigmatiques, mais une section est finalement constituée, supervisée par Ahmed Fouad Selim qui conjuguera les fonctions de Directeur de la Biennale du Caire et Président de l’AICA. C’est lui qui n’a jamais caché des goûts et des options « frileuses » tant pour les premiers contenus de cette Biennale reconstituée que pour le choix des membres de l’association et il faudra le courage et la volonté d’une personnalité aussi notable que Fatma Ismail, disparue trop tôt, pour inverser le cours des choses à bien de niveaux. A noter que l’AICA Egypte, comme quelques autres, n’a jamais brillé dans la régularité du paiement de ses cotisations et qu’elle a dû voir s’afficher une menace de dissolution pour qu’elle corrige ces irrégularités, qui ont repris le dessus cependant jusque, là encore, à la voir être qualifiée de « dormante » aujourd’hui.
[13] Pour plus de détails sur ces expositions, je renvoie vers le cahier « Sampler » du catalogue Africa Remix, Centre Pompidou, 2005, et à l’ouvrage L’Art africain contemporain, co-écrit par notre collègue Christophe Domino et André Magnin, Ed. Scala, Paris, 2005.
[14] Titre complet : Beyond Walls and Wars : Art, Politics and Multiculturalism, Ed. Midmarch Arts Press, New York, 1992
[15] Pour une information complète et exacte sur les modalités de cette rencontre, cf. le texte proposé par Katy Deepwell : Art Criticism and Africa, (AICA Conference, Courtauld Insitute, London, 1996).
[16] L’AICA sera chargé de la gestion de ce prix les deux années suivantes, avant une nouvelle proposition pour la Biennale Dak’Art en 2006. La deuxième édition aura lieu à Venise, et c’est Pierre Restany qui sera nommé Président du jury, Kim Levin ne participant pas à celui-ci. Restany imposera de ne récompenser qu’un seul artiste et c’est Ghadda Amer qui en bénéficiera. La troisième édition se tiendra à Cuba, où ni Kim ni moi-même n’avons pu nous rendre. Pierre Restany a été confirmé comme Président à nouveau et il attribuera le prix à Jean-Pierre Raynaud… C’est une des rares fois, à la connaissance de ce verdict, où Pierre Restany et moi avons eu une discussion « enlevée », et, en réponse au rappel de la non-conformité des désirs du mécène japonais qui voulait que son prix récompense un artiste « contemporain », il m’avait vertement répondu « de toutes façons il n’y avait rien d’autre de valable dans cette pantalonnade de biennale ».
[17] Pour rappel, et sans établir une liste exhaustive, Fault Lines, dont la curatrice était Gilane Tawadros et montrée lors de la 50ème Biennale de Venise en 2003 ; Veil, sur une proposition de Zineb Sedira et autres intervenants, accueillie par Gilane Tawadros à l’ Iniva/The Institute of International Visual Arts de Londres la même année ; Fantasies de l’Harem i noves Xahrazads, conçue par Fatima Nermissi, aidée par Rosa Issa pour la partie contemporaine, exposée au Centre de Cultura Contemporanea de Barcelone en 2003 ; L’Art au féminin enfin, dont la curatrice était Nadira Lagoune et montrée au Musée d’art moderne et contemporain d’Alger dans le cadre de la manifestation « Alger 2007, capitale de la culture arabe ».
[18] Les autres intervenants étaient Alain Mousseigne, Ramon Tio Bellido, tous deux assurant la direction de l’opération, Kim Levin, Henry Meyric-Hughes, Jean-Charles Masséra, Lionel Bovier, Victoria Combalia, Victor Missiano, Dan Cameron, Frédéric Paul, Peter Friese et Jorge Villacorta. L’ouvrage est édité par les PUR de l’université de Rennes.
[19] J’ai choisi de ne pas opter pour une description trop « détaillée » de cette manifestation, comme des deux prochaines que je vais relater. La raison de ce choix est extrêmement simple : ces trois séminaires ont fait l’objet d’une publication où sont retranscris une assez grande part des interventions, qui comprend un cahier décrivant tous les détails des séminaires organisés, et qui renvoie par ailleurs à un site web sur lequel on peut consulter l’ensemble in extenso des communications livrées, retranscrites dans leurs langues originelles. Cf. African Contemporary Art, Critical Concerns, aicapress, Paris, 2011.
[20] Je tire toutes ces informations aussi étonnantes qu’inattendues d’un ouvrage découvert par hasard dans les rayonnages du bureau de l’AICA alors encore Rue Berryer, envoyé par son auteur alors que ce pays avait toujours une section locale : Esmé Benman, Art & Artists from South Africa, Ed. AA Balkema, Le Cap, 1970.